Quand on est une femme

Certains spécialistes attirent aujourd’hui l’attention sur une réalité qui commence à s’imposer à la science, mais qui reste encore peu explorée : il existerait bel et bien une maladie de Parkinson typique chez les femmes.

Certains spécialistes attirent aujourd’hui l’attention sur une réalité qui commence à s’imposer à la science, mais qui reste encore peu explorée : il existerait bel et bien une maladie de Parkinson typique chez les femmes.

Les femmes mieux armées
face à la maladie de Parkinson…

Les différences entre les sexes se manifestent dès les premières statistiques en ce qui concerne la maladie de Parkinson. On observe en effet que les femmes sont moins touchées que les hommes par cette maladie, la prévalence étant 1,4 fois plus élevée chez les hommes à l’échelle mondiale, soit une proportion de 40 % de femmes pour 60 % d’hommes. 

Bien qu’il soit possible que les femmes soient moins diagnostiquées pour diverses raisons (que nous explorerons plus tard), des pistes scientifiques permettent désormais d’expliquer cet écart, en mettant en évidence des facteurs génétiques en premier lieu. En effet, les femmes disposent de gènes qui les protègent davantage contre la perte de neurones dopaminergiques par rapport aux hommes. L’absence du chromosome Y (qui caractérise le sexe masculin) pourrait jouer un rôle favorable dans cette protection. 

De plus, il est soupçonné que des interactions entre les gènes et l’environnement (comme la pollution, la nutrition et les modes de vie) auxquelles les femmes sont potentiellement moins exposées, contribuent également à réduire leur prédisposition à la maladie de Parkinson. Cependant, il est important de noter que les études sur cet aspect multifactoriel complexe nécessitent encore des approfondissements. 

Enfin, le système hormonal joue un rôle essentiel dans la protection neuronale. Des preuves suggèrent que les œstrogènes, des hormones féminines, contribuent à prévenir l’épuisement des neurones dopaminergiques dans la substance noire, région du cerveau impliquée dans la maladie de Parkinson. Cette influence neuro-protectrice joue un rôle déterminant dans les différences de prévalence observées entre les hommes et les femmes. 

 

… mais des symptômes spécifiques
chez les femmes

L’attention accordée à la dimension hormonale dans la maladie de Parkinson chez les femmes est suscitée par certains symptômes spécifiques au genre féminin. Chez les jeunes patientes, il a été observé que les symptômes tendent à s’améliorer pendant la grossesse, notamment en ce qui concerne les troubles du mouvement (dystonie) qui semblent s’atténuer. 

Une autre observation concerne les fluctuations des symptômes en relation avec le cycle menstruel. De nombreuses femmes connaissent des périodes où les symptômes de la maladie s’aggravent. En particulier dans la semaine précédant les règles, puis pendant les règles avec une accentuation significative des douleurs et des troubles menstruels. 

Enfin, une augmentation des manifestations de la maladie est souvent constatée après la ménopause. Ces observations accréditent la thèse de liens entre le niveau des hormones féminines et les manifestations, voire l’évolution, de la maladie de Parkinson. 

Ces découvertes soulignent l’importance de prendre en compte la dimension hormonale dans la compréhension et la gestion de la maladie de Parkinson chez les femmes. Les variations hormonales liées à différentes étapes de la vie féminine pourraient influencer la sévérité et les symptômes de la maladie. Leur exploration pourrait conduire à de nouvelles approches thérapeutiques ou à une meilleure prise en charge des patientes. Cependant, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre ces liens et identifier les implications pratiques pour les femmes atteintes de la maladie de Parkinson. 

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Une prise en charge personnalisée des femmes est nécessaire dans la maladie de Parkinson 

Les études ont mis en évidence que les femmes sont plus sujettes aux tremblements et souffrent davantage de dyskinésies, probablement en raison d’un poids corporel moins important que les hommes qui les rend plus sensibles aux dosages des traitements, notamment à la Lévodopa. Ainsi, les praticiens doivent veiller à adapter soigneusement la prescription pour éviter d’administrer des doses excessives. 

De plus, les femmes sont plus exposées à l’angoisse et à la dépression, ce qui nécessite une vigilance particulière dans leur accompagnement médical. La dimension psychologique prend une importance accrue à mesure que la maladie progresse. 

« On ne gère pas les phases avancées de la même manière chez les femmes que chez les hommes. Lorsque les blocages et les chutes apparaissent et qu’il faut passer aux traitements de deuxième ligne, puis à des moyens plus invasifs (pompe, sonde…), les hommes les acceptent généralement plus rapidement, considérant cela comme un challenge. En revanche, pour les femmes, il faut souvent présenter les informations différemment et prendre plus de temps pour les y préparer. C’est pourquoi il est important de bien anticiper la fenêtre d’action : nous pouvons le faire car nous connaissons l’évolution de la maladie. Avec certaines patientes, il m’arrive de m’y prendre deux ans à l’avance pour favoriser le processus d’acceptation. »

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On ne gère pas les phases avancées de la même manière chez les femmes que chez les hommes […]
Elena Moro,
Neurologue et spécialiste de la maladie de Parkinson 

Bien que les femmes semblent moins exposées aux troubles gastro-intestinaux et cognitifs que les hommes, elles sont davantage susceptibles de souffrir de troubles urinaires et de présenter des troubles du contrôle des impulsions (TCI) associés aux agonistes dopaminergiques. Cependant, les TCI chez les femmes diffèrent souvent de ceux observés chez les hommes. Par exemple, certaines femmes peuvent développer une surconsommation de sucre ou des comportements compulsifs liés au shopping, tandis que les hommes seraient plus enclins à l’hypersexualité ou aux jeux pathologiques. 

Ces différences et spécificités entre les sexes soulignent la nécessité d’une prise en charge personnalisée pour les femmes atteintes de la maladie de Parkinson. Les professionnels de la santé doivent être attentifs à ces éléments afin de fournir un accompagnement médical adapté à chaque patiente et de mieux répondre à ses besoins spécifiques. 

 

Maladie de Parkinson, le poids des enjeux psychosociaux chez les femmes 

Au-delà des symptômes et des manifestations de la maladie de Parkinson, les femmes doivent également faire face à des défis culturels qui rendent leur rapport à l’environnement social plus complexe. Cela concerne leurs relations avec les proches, le travail et le corps médical. Les femmes atteintes de Parkinson souffrent souvent d’un déficit de soutien et sont ainsi plus susceptibles de devoir gérer seules leur maladie. Elles se rendent fréquemment seules aux consultations médicales, tandis que les hommes se présentent généralement avec leur partenaire. 

Le diagnostic de la maladie est souvent posé tardivement chez les femmes, principalement parce qu’elles sont confrontées à des pressions liées aux responsabilités du quotidien ou qu’elles considèrent avoir d’autres priorités plus importantes que leur propre santé. Ces facteurs peuvent entraîner un retard dans le recours aux soins et à la recherche de diagnostic. 

De plus, les premiers troubles de la maladie ne sont pas toujours pris en compte immédiatement par leur entourage, qui attribue parfois ces symptômes au genre plutôt qu’à la maladie de Parkinson. Cette méconnaissance ou cette méprise peut conduire à un retard dans l’identification de la maladie et dans la mise en place d’une prise en charge appropriée. 

 

Une appli au service des femmes atteintes de Parkinson 

Richelle Flanagan, une diététicienne irlandaise atteinte de la maladie de Parkinson depuis l’âge de 47 ans, a développé une application spécialement conçue pour les femmes : « My Moves Matter ». Cette application vise à mieux évaluer et comprendre les fluctuations des symptômes de la maladie, à proposer des stratégies pour atténuer l’impact des menstruations sur ces symptômes, et enfin, à fournir des informations pour faciliter un traitement plus personnalisé pour les femmes atteintes de la maladie de Parkinson. Actuellement disponible en anglais, une version en français est prévue prochainement. 

La préservation de l’équilibre psychosocial est d’une importance cruciale, et il est essentiel d’aborder ces questions avec son neurologue ou son médecin lors des consultations médicales. Il est important de se préparer à l’entretien en amont, en orientant par exemple le médecin sur les spécificités de l’efficacité du traitement pendant la période menstruelle, en exprimant ses ressentis, en abordant la prévention de l’ostéoporose lors de la ménopause pour limiter les risques de fracture en cas de chute, ou encore en affirmant clairement le désir de grossesse, même si cela peut encore faire l’objet de propos dissuasifs. 

Les réseaux sociaux, les actions des associations, les dispositifs de soutien psychologique individuel et les ateliers collectifs sont autant de leviers que les femmes peuvent utiliser pour faire avancer cette cause. Les Cafés Jeunes Parkinson, notamment, sont des initiatives de terrain qui apportent un soutien spécifique aux personnes touchées par la maladie dès son apparition précoce. 

La recherche scientifique est un pilier essentiel qui a considérablement progressé ces dernières années et a permis d’éclairer l’horizon des femmes confrontées à la maladie de Parkinson. De plus en plus de chercheurs s’engagent dans ce domaine et ouvrent ainsi un vaste champ d’études pour mieux comprendre et répondre aux spécificités de cette maladie chez les femmes. 

 

Une étude de référence pour faire avancer la recherche sur la santé des femmes atteintes de Parkinson 

Le Dr Alexis Elbaz, épidémiologiste, neurologue et chercheur à l’Inserm, co-dirige une étude d’envergure et de longue durée qui contribue à une meilleure compréhension des facteurs spécifiques de développement de la maladie de Parkinson chez les femmes. 

« E3N est la première étude française sur la santé des femmes et l’une des seules au monde sur ce sujet. Elle se fonde sur une cohorte constituée depuis 1990 et composée de 100 000 femmes, dont 1 200 ont développé la maladie de Parkinson. »

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E3N est la première étude française sur la santé des femmes et l’une des seules au monde sur ce sujet. […]
Dr Alexis Elbaz,
Épidémiologiste, neurologue et chercheur à l’Inserm 

Les conclusions de cette étude fournissent des constats scientifiques solides qui viennent éclairer et conforter les travaux menés par les équipes de recherche dédiées à la maladie de Parkinson chez les femmes. 

Les principaux résultats de l’étude E3N sont les suivants : 

  • La ménopause artificielle augmente de 30 % le risque de développer la maladie de Parkinson. Ce risque est également accru lorsque la ménopause survient précocement, c’est-à-dire avant l’âge de 45 ans. Cette augmentation de risque s’explique par une chute brutale et anticipée du taux d’œstrogènes. Cependant, la mise en place d’un traitement hormonal substitutif au moment de la ménopause artificielle permet de compenser partiellement cette augmentation de risque. Il est donc crucial de sensibiliser les chirurgiens aux conséquences potentielles de l’ovariectomie, afin de préserver les ovaires lorsque cela est possible. 
  • Le risque de développer la maladie de Parkinson est également plus élevé chez les femmes ayant eu des règles précoces ou tardives. Les premières en raison de l’interférence des hormones sexuelles avec le développement des circuits neuronaux impliqués dans la maladie. Et les secondes en raison d’une moindre durée de protection hormonale. 
  • Enfin, le nombre d’enfants joue également un rôle dans l’augmentation du risque de développer la maladie de Parkinson, qui est plus fréquente après des grossesses multiples. 

Ces travaux, réalisés par Giancarlo Pesce (chercheur post-doctorant) sous la direction de Marianne Canonico, chercheuse à l’Inserm, et Alexis Elbaz, ont été publiés en novembre 2022 dans la prestigieuse revue neurologique Brain. Ces résultats viennent enrichir les connaissances sur la maladie de Parkinson chez les femmes et ouvrent la voie à de nouvelles pistes de recherche et à une meilleure prise en charge personnalisée de cette maladie chez cette population spécifique. 

 

Pour en savoir plus

https://www.e3n.fr/letude  

 

Késako ?

  • Neurones dopaminergiques : cellules qui produisent de la dopamine, situées dans la substance noire du cerveau, sa zone la plus profonde.
  • Substance noire : région spécifique du cerveau qui joue un rôle crucial dans la production de dopamine, un neurotransmetteur impliqué notamment dans la régulation des mouvements. 
  • Dystonie : trouble du mouvement caractérisé par des contractions musculaires involontaires, soutenues et souvent répétitives, qui entraîne des postures anormales et des mouvements tordus. 
  • Dyskinésie : terme médical qui désigne des mouvements anormaux, involontaires et souvent répétitifs du corps. 
  • Troubles du contrôle des impulsions (TCI) : incapacité à résister à des comportements impulsifs qui peuvent avoir des conséquences négatives sur la vie d’une personne. 
  • Agonistes dopaminergiques : type de médicament utilisé dans le traitement de la maladie de Parkinson qui agit en stimulant les récepteurs de la dopamine dans le cerveau, un neurotransmetteur impliqué notamment dans la régulation des mouvements. 
  • Ovariectomie : procédure chirurgicale au cours de laquelle les ovaires d’une femme sont retirés.